Le 13 janvier, c’était la journée mondiale de l’hypersensibilité. J'en ai profité pour lancer le premier épisode de mes podcasts et vous parler de cette notion qui me fait parfois un peu grincer des dents !
La notion d’hypersensibilité était d’abord utilisée pour décrire l'hypersensibilité sensorielle, ou hyperesthésie, souvent présente dans les troubles neurodéveloppementaux tel que l’autisme : c’est une hyperréactivité à certains stimuli comme la lumière, les sons, les matières… Donc c’est quand on réagit plus intensément que les autres à certains stimuli de notre environnement.
Puis en 1996, la psychologue américaine Elaine Aron a créé la notion de « personne hautement sensible » (highly sensitive person ou hsp), soit ce qu’on appelle l’hypersensibilité en français. En psychologie, on parlera plutôt de haute sensibilité. Non seulement parce que l’hypersensibilité fait déjà référence à l’hyperesthésie, mais aussi parce qu'être "hyper", c'est littéralement être "trop", ce qui peut être stigmatisant.
La théorie d'Elaine Aron n’a pas été très bien reçue par le milieu scientifique : pour certains sa méthode manquait de rigueur et pour d’autres, elle recyclait des notions déjà conceptualisées et étudiées. Je ne m’attarderai pas sur le sujet mais si ça vous intéresse, vous pouvez aller regarder les vidéos Youtube de Stéphanie Aubertin et Psykocouak qui sont très bien expliquées.
Ici, je voudrais plutôt vous parler du problème de la diffusion de la notion sur Internet et les réseaux qui a été beaucoup plus rapide que la recherche scientifique. On se retrouve du coup avec une grosse soupe de pleins de trucs et notions mis ensemble pour décrire un concept encore très flou. L’hypersensibilité est parfois présentée comme un don, une maladie, ou encore comme un signe de douance. On va retrouver exactement le même problème avec la haute potentialité ou les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité mais ça je vous en parlerai peut-être une prochaine fois.
La haute sensibilité est présentée comme étant un tempérament. Le tempérament, ce sont « les différences entre les individus qui sont fondées sur la constitution et qui sont situées au niveau de la réactivité émotionnelle, motrice, attentionnelle et de l’autorégulation, influencées par une combinaison de facteurs biologiques, environnementaux et dus à la maturation. » Pour faire très court, c'est un peu notre caractère inné. Donc pas celui qui se forge avec le temps, ni notre personnalité qui elle se construit progressivement pendant l’enfance pour s’adapter à notre environnement. Le tempérament, on est né avec.
Donc la haute sensibilité serait innée. Et pour identifier les personnes qui présentent ce tempérament, Elaine Aron a créé un questionnaire d’une vingtaine de questions qui était initialement destiné à la recherche scientifique. Dans ce contexte, il est utilisé en parallèle avec d’autres tests, comme des échelles d'anxiété ou de dépression, afin de pouvoir identifier et isoler d’autres explications à l’hypersensibilité des sujets. Mais avec la diffusion et la vulgarisation de la notion, le questionnaire est désormais accessible à tous et toutes… Et utilisé comme un outil de « diagnostic ». Or il n’y a pas de diagnostic à faire étant donné que l’hypersensibilité n’est pas une pathologie mais un mode de fonctionnement.
Les sites qui vous proposent de découvrir si vous êtes hypersensible devraient vous proposer, au même titre que le test d’Elaine Aron : un questionnaire de dépression ou d'anxiété, une évaluation de vos capacités attentionnelles, de votre histoire et parcours de vie. Ils devraient également évaluer si vous présentez des signes relevant des troubles du spectre autistique ou de syndrome de choc post traumatique. Ou parfois même des analyses plus poussées pour exclure des causes médicales par exemple...
La vulgarisation des concepts sur Internet a du bon si elle suit un but éducatif et de sensibilisation. Lorsqu’elle est faite juste pour attirer les clics ou pour vous vendre des programmes d’accompagnements frauduleux, alors elle devient dangereuse.
Sur son site officiel, Elaine Aron vous propose elle aussi de découvrir si vous êtes une personne hautement sensible. Elle met toutefois en garde en disant : « Si vous avez répondu à plus de 14 items comme étant vrais pour vous, vous êtes probablement une personne hautement sensible. Mais aucun test psychologique n’est assez précis que pour qu’un individu base sa vie dessus ». Puis, dans sa foire aux questions, elle souligne trois points importants à considérer lorsqu’on s’identifie ou qu’on identifie quelqu’un d’autre comme étant hautement sensible :
La haute sensibilité peut être confondue avec un vrai trouble,
La haute sensibilité peut être considérée comme le problème alors qu'elle est l’expression d’un trouble ou d’un problème sérieux,
La haute sensibilité peut et est souvent associée à un autre trouble ou problème sérieux.
Ces informations, vous ne les trouvez pas sur les sites à clics ou sur les réseaux. Et c’est bien dommage parce que ça mène au risque de s’autocoller une étiquette d’hypersensibilité, d’en être rassuré.e parce que ça explique beaucoup de situations et interactions vécues personnellement… mais d’en fait passer complètement à côté de quelque chose de plus sérieux.
Ce test ne permet pas de faire la différence entre une hypersensibilité trait, donc celle qui relève plutôt du tempérament, et une hypersensibilité symptôme, qui serait l’expression de quelque chose d’autre. En fait, l’hypersensibilité définit un éventail de manifestations qui pourraient être expliquées par un tas d’autres choses…
Par exemple : une personne traumatisée, donc en syndrome de choc post-traumatique, peut présenter une certaine forme d'hypersensibilité… elle pourrait développer en effet une hypervigilance et devenir ainsi très sensible aux réactions et comportements des personnes qui l’entourent, mais aussi à ses propres sensations. Pareil pour les troubles anxieux. Une personne dépressive pourra aussi voir sa sensibilité à certains stimuli augmenter. Certaines pathologies médicales, comme l’hyperthyroïdie ou le syndrome d'Elhers-Danlos, peuvent accroître la sensibilité des sujets à tout un tas de stimuli, qu’ils soient externes ou internes. Dans les troubles du spectre autistique ou de l’attention, les seuils de sensibilité et de réactivité des individus peuvent être très différents de la moyenne… En fait, de manière générale, une hyper-connectivité au niveau cérébrale va pouvoir se manifester par une hypersensibilité. Et il n'est pas impossible de présenter plusieurs de ces troubles ou pathologies en même temps, en plus d'un tempérament hautement sensible...
D’où l’importance fondamentale de passer par quelqu’un de formé et informé, comme les psychologues ou votre médecin traitant, lorsque vous avez des doutes sur votre santé mentale ou physique, lorsque vous souffrez de vos modes de fonctionnement ou si vous vous sentez différent.e. Vous bénéficierez alors d'une évaluation globale de votre situation et de votre parcours de vie pour vous aider à mettre le doigt sur ce qu’il se passe exactement et bénéficier d'un accompagnement adapté.
Si vous vous êtes auto-collé l’étiquette d’hypersensible et qu’elle vous fait du bien, je ne suis pas en train de vous dire de la retirer. Au contraire. Mettre des mots sur ses maux peut être apaisant et libérateur. Par contre, si cette hypersensibilité représente une souffrance ou un réel handicap pour vous dans votre quotidien, je ne peux que vous recommander d’aller consulter afin de déterminer si vous êtes une personne hautement sensible… ou peut-être hautement anxieuse. La prise en charge ne sera pas la même.
D’ailleurs, en parlant de prise en charge : est ce que l’hypersensibilité peut-être traitée ? Alors non, parce que ce n’est pas une maladie, mais oui parce qu’il y a bien des choses à faire pour vous aider à vivre avec et à soulager la souffrance que ce mode de fonctionnement peut vous causer. Comment ? Par exemple en apprenant à identifier et réguler vos émotions, en mettant en place des routines salutaires et de temps pour vous, en apprenant à communiquer vos limites et besoins à l’autre mais aussi à vous-même et surtout à les respecter... Parce-que souvent, on est les premier.e.s à nier complètement nos propres besoins et à ne pas respecter nos propres limites… Mais ça, on en parlera une prochaine fois !
Je vous laisse là-dessus. Si vous avez des questions, n'hésitez pas à me contacter !
A bientôt ?
Mes sources :
Liens :
Articles :
- Acevedo Bianca, Aron Elaine, Pospos Sarah, Jessen Dana (2018) The functional highly sensitive
brain: a review of the brain circuits underlying sensory processing sensitivity and seemingly
related disorders Phil. Trans. R. Soc. B3732017016120170161https://doi.org/10.1098
- Clobert, N. & Brasseur, S. (2022). Comment gérer son hypersensibilité ?. Cerveau & Psycho,
141, 56-62. https://www.cairn.info/magazine--2022-3-page-56.html
- Gauvrit, N. & Carrié, C. (2022). Le cerveau hypersensible. Cerveau & Psycho, 141, 46-50.
- Gauvrit, N. (2021). Hypersensibilité. La notion d’hypersensibilité est-elle intéressante ?
- Miriam Liss; Jennifer Mailloux; Mindy J. Erchull (2008). The relationships between sensory
processing sensitivity, alexithymia, autism, depression, and anxiety. , 45(3), 255–259.
doi:10.1016/j.paid.2008.04.009
- Saucier, Gerard & Goldberg, L.-R. (2006). Personnalité, caractère et tempérament : la structure
translinguistique des traits. Psychologie Francaise - PSYCHOL FR. 51. 265-284.
10.1016/j.psfr.2006.01.005
Comentarios