Ça vous est déjà arrivé d’être tellement plongé.e dans une tâche ou une activité que vous en perdez complètement la notion du temps et tout ce qu’il se passe autour de vous ? A la fin, sans pouvoir vraiment l’expliquer, un sentiment de bien-être et de satisfaction vous envahit.
Ce phénomène, c’est l’état de Flow.
En anglais, "flow" désigne quelque chose qui s'écoule, qui se répand. Il y a non seulement une idée de mouvement continu mais aussi de direction. Dans de nombreux domaines, on parle de flow pour désigner quelque chose de fluide. C'est le cas par exemple de la danse et du chant où il représente la fluidité du mouvement ou de la voix. Dans la pratique du yoga, il désigne un enchaînement de différentes postures (asanas) de manière fluide et continue.
On trouve aussi cette notion dans les philosophies zen, bouddhiste et taoïste qui nous enseignent que le bonheur vient de la poursuite du chemin en soi, et non pas de la destination. Dans le taoïsme, le flow représente ainsi la capacité à ne pas résister, à ne pas nager à contre-courant, à ne pas chercher à contrôler son environnement. Il invite au contraire à laisser les choses suivre tranquillement leur cours.
En psychologie, le flow désigne un état mental aussi appelé la zone ou l’expérience optimale. De nombreuses études ont démontré son effet bénéfique sur la qualité de nos performances, humeur, gestion du stress… et de notre bonheur. C’est le psychologue hongrois Mihaly Csíkszentmihályi qui lui a donné ce nom. Il a dédié la majeure partie de sa carrière à l’étudier et il a ouvert la voie à de nombreuses recherches sur le sujet. Selon lui, l’expérience optimale serait le secret du bonheur.
Késako ?
Les chercheurs ont encore du travail devant eux pour réussir à cerner complètement ce qu’il se passe lorsqu’on entre dans la zone, notamment concernant les mécanismes neurobiologiques impliqués. On sait toutefois que 3 conditions sont indispensables pour entrer en état de flow :
La tâche doit être à la hauteur des compétences : ni trop facile, ni trop compliquée (sinon on tombe dans l’ennui ou la frustration !)
L’objectif doit être clair
Il doit y avoir un feedback (interne ou externe) immédiat sur la performance : on sait qu’on est en train de mener à bien la tâche
On sait aussi que l’état de flow est caractérisé par les 6 points suivants :
On perd la conscience de soi : « Je suis tellement concentré.e sur l’activité que je ne pense plus à rien d’autre »
Notre conscience fusionne avec l’activité : « Je ne fais plus qu’un avec la tâche »
Notre perception du temps est altérée : « Je n’ai pas vu le temps passé pendant que j’effectuais la tâche »
On est intensément concentré.e : « Toutes mes ressources attentionnelles sont investies dans la tâche, je ne me laisse pas distraire »
On sent qu’on contrôle la situation : « Je sais ce que je suis en train de faire, je vais y arriver »
L’activité est autotélique, c’est-à-dire qu’elle représente un but en soi : « Mon objectif est de faire cette activité pour le sentiment de plaisir et de satisfaction qu’elle m’apporte »
Bien que la majorité des études sur le sujet soient réalisées dans les milieux sportif, artistique ou encore dans le monde du gaming et du travail, il semblerait qu’il soit possible d’entrer dans le flow quelle que soit l’activité que l’on entreprend si toutes les conditions sont réunies.
Donc flow = bonheur ?
Ce n'est évidemment pas aussi simple que ça. Pour comprendre les effets du flow sur notre bien-être général, il faut d’abord parler de motivation. Celle-ci dépend notamment de facteurs qui peuvent être intrinsèques ou extrinsèques :
Facteurs extrinsèques : « Je fais cette tâche pour être payé.e/récompensé.e »
Facteurs intrinsèques : « Je fais cette tâche parce qu’elle me procure du plaisir et est en accord avec mes valeurs et intérêts »
On sait aujourd’hui que la motivation intrinsèque mène à une meilleure qualité de l’expérience ainsi qu’à un sentiment d’auto-satisfaction plus durable dans le temps. La 9ème composante de l’état de flow dit que l’activité doit être autotélique, donc qu’on la fait parce qu’on aime la faire et non pas parce qu’on doit la faire. La motivation pour accomplir la tâche est alors intrinsèque : on fait quelque chose pour le plaisir que ça nous apporte.
Après une activité nous ayant procuré un état de flow, on ressent en général un intense sentiment de bonheur et satisfaction. Cette joie qui nous envahit après la tâche, on la doit notamment à notre système dopaminergique, soit notre système de la récompense. En fait, pendant l’état de flow, l’activité des régions cérébrales responsables de nos pensées à propos de nous-mêmes est supprimée et celle des structures associées à nos pensées négatives est fortement réduite. A l’inverse, les régions impliquées dans notre système de récompense sont fortement activées par l’augmentation de notre taux de dopamine, l’hormone du plaisir et de la motivation : c’est pour ça qu’on ne ressent pas la fatigue ou l’inconfort lorsqu’on est dans la zone (ou quand on boit du café !).
Une étude réalisée en Chine en juin 2020 a montré que les individus s'étant occupés avec des activités leur procurant une sensation de flow durant la quarantaine rapportaient plus d'émotions positives, moins de symptômes de dépression, un plus faible sentiment de solitude et la mise en place d'habitudes plus "healthy".
En fait, probablement parce qu’il active notre système dopaminergique, l’état de flow agit directement sur notre sentiment d’auto-efficacité et d’auto-accomplissement, sur la perception de nos propres compétences mais aussi sur notre sentiment de contentement et gratitude (envers nous-même). Notre moral est alors boosté par des éléments purement intrinsèques, internes et donc… plus durables.
En effet, quand je flow, je ne pense pas à qui je suis ni à mes soucis. En fait, je ne pense à rien. Je suis comme en pilotage automatique, concentrée sur ma performance et mon objectif. A la fin, je me sens bien parce que j’ai atteint mon but, celui que je m’étais fixé. Je me sens capable, efficace et fière de moi.
Une question de sens
Mihaly Csíkszentmihályi parle d’apprendre à « maîtriser notre expérience intérieure » en entrant régulièrement dans le flow. Cela signifie en gros résumé que si l’on apprend à trouver du sens et des facteurs motivationnels intrinsèques à nos activités quotidiennes, si on change notre attitude par rapport à nos tâches et responsabilités, alors on découvre une raison de se lever le matin avec plus d’enthousiasme.
En effet, notre société a normalisé le fait de se rendre chaque jour au travail en espérant de toutes nos forces que l’heure de s’en aller arrive rapidement et en attendant impatiemment le week-end. Sauf que le week-end arrive, la fatigue de la semaine se fait sentir, on redoute le lundi qui arrive déjà et on cherche alors notre bonheur dans le shopping, les sorties, la télévision ou encore la consommation de substances. A l’extérieur quoi. En suivant ce schéma, on passe donc environ 250 jours sur 365 à espérer être n’importe où sauf au travail et une centaine environ à consommer pour oublier. Pour vous donner une idée, sur une carrière de 40 ans, on passerait donc environ 27 ans à vouloir être ailleurs. Pas étonnant que le burn-out soit la maladie du siècle.
Mais si l’on parvient à donner du sens à notre travail et à nos tâches quotidiennes, alors on peut sortir de cette spirale infernale. On devient plus efficace, plus performant.e et surtout, plus épanoui.e. Si l’on parvient à trouver satisfaction dans les activités les plus ennuyeuses de notre routine, alors notre qualité de vie s’améliore indéniablement. C’est d’ailleurs ce qu’enseigne la philosophie japonaise de l’Ikigai dont je vous parlerai prochainement.
En attendant, je vous laisse avec cette conférence TEDTalk de Mihaly Csíkszentmihályi sur le flow. Et la prochaine fois, je vous explique comment faire pour vous entraîner à y entrer, ça vous dit ?
Mes sources :
Vivre : la psychologie du bonheur de Mihaly Csíkszentmihályi
Gold J, Ciorciari J. A Review on the Role of the Neuroscience of Flow States in the Modern World. Behav Sci (Basel). 2020 Sep 9;10(9):137. doi: 10.3390/bs10090137. PMID: 32916878; PMCID: PMC7551835.
Steven Kotler, Michael Mannino, Scott Kelso, Richard Huskey (2022) First few seconds for flow: A comprehensive proposal of the neurobiology and neurodynamics of state onset, Neuroscience & Biobehavioral Reviews, Volume 143, 104956, ISSN 0149-7634.
Sweeny, K., Rankin, K., Cheng, X., Hou, L., Long, F., Meng, Y., ... & Zhang, W. (2020). Flow in the time of COVID-19: Findings from China. PloS one, 15(11), e0242043.
Van der Linden D, Tops M and Bakker AB (2021) The Neuroscience of the Flow State: Involvement of the Locus Coeruleus Norepinephrine System. Front. Psychol. 12:645498.
Van der Linden D, Tops M, Bakker AB. Go with the flow: A neuroscientific view on being fully engaged. Eur J Neurosci. 2021;53:947–963.
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